la toute petite enfance
Lorsqu'il est né, Augustin n'avait pas le réflexe de succion. Après plus de 24h de jeûne, il a bien fallu trouver une solution. Il fallait qu'il se nourrisse. J'ai pressé la tétine du biberon sur sa langue pour faire couler quelques gouttelettes de lait, il a fini par arriver à déglutir. Ainsi, petit à petit, il a eu son premier repas.
J'ai ensuite procédé de même systématiquement réduisant peu à peu mon aide, jusqu'à ce qu'il arrive à appuyer sur la tétine.
Je n'ai rien dit aux sages-femmes. Déjà qu'elles rouspétaient parce que j'insistais pour continuer à tirer mon lait pour le lui donner au biberon, inutile de leur dire qu'en plus, il ne savait pas plus têter au biberon qu'au sein.
J'ai donc consacré beaucoup de temps pour qu'il arrive finalement à téter d'abord au biberon, puis directement au sein. L'apprentissage aura pris deux bons mois, mais il a réussi !
Pour moi, pas trop d'inquiétude. Il était né très rapidement (une heure) donc il avait été choqué, ou fatigué. Bref, rien de grave, tout allait s'arranger.
Il a fallu un premier petit tour chez l'ostéopathe, à l'âge d'un mois, pour qu'il digère mieux.
Puis les mois ont passé, avec toujours du retard pour toutes les acquisitions. Et à chaque fois, je cherchais comment trouver une solution.
A un an, il ne tenait pas encore assis sans être calé par des coussins et un angle de mur. S'il basculait sur le côté, il y restait, sans bouger, sans crier, jusqu'à ce qu'on le relève. Comme il était tout rond (alors qu'il n'a eu que le lait maternel pendant plus de neuf mois comme alimentation), je pensais qu'il était normal qu'il n'arrive pas à se redresser.
Et s'il ne pleurait pas, c'est qu'il était très sage.
La pédiatre ne voyait rien de tout cela, puisqu'il hurlait dès que nous rentrions dans son cabinet depuis qu'il avait reçu son premier vaccin. Les visites médicales étaient donc très rapides.
Comme j'avais la chance d'être à la maison, (choix que nous avons fait dès la naissance de ma première fille), je l'ai beaucoup stimulé. J'achetais un nouveau jouet chaque mois, espérant qu'il aurait plus de succès que ceux de ses trois soeurs qui ne l'intéressaient pas du tout. Pourtant, mis à part les jouets qui tournaient (balles, roues de voitures, toupies), rien ne l'intéressait. Mais j'ai persévéré. Prenant ses petites mains, lui faisant toucher différentes matières, attraper chaque jouet.
Je lui ai proposé les portiques, lorsqu'il était sur le dos....Là non plus, il ne réagissait pas seul. J'ai dû lui apprendre à effleurer les jouets suspendus pour qu'il comprenne qu'ils pouvaient bouger, tourner...
Après plusieurs mois il est arrivé à apprécier ces premiers stimulis. Je le mettais aussi assis calé contre moi, pour lui montrer les tableaux de d'éveil. Là encore de nombreuses séances ont été nécessaires pour qu'il arrive à jouer avec ce matériel.
Mais même si je trouvais qu'il était lent, très lent, je me rassurais en me répétant que c'était un garçon, que les garçons étaient plus lents que les filles.
Lorsqu'il avait presque 20 mois, nous avons déménagé. Il s'est mis à marcher, tombant souvent. Il ne voulait plus me quitter. Il fallait que je sois toujours dans la même pièce que lui, que je le porte des heures et des heures dès que je voulais me déplacer. J'avais donc pris l'habitude de toujours le porter sur un côté pendant que de ma main libre, je vaquais à mes occupations. Dès que je le posais il hurlait.
Sauf si un tas de sable ou de cailloux était à sa disposition. Là, il passait de longs moments à lancer le sable en l'air, s'en mettant plein la tête ou à le faire glisser entre ses doigts. Les cailloux, il adorait les lancer de partout, et surtout dans de l'eau (le lavoir grillagé était son terrain de jeux préféré). S'il avait trouvé quelque chose d'intéressant, il partait sans se soucier de nous.
Et on pouvait l'appeler, il ne se retournait jamais, ne répondait pas.
Souhaitant le préparer pour l'école, je le stimulais encore de nombreuses heures par jour.
Lui apprendre à tenir un pinceau, à reconnaître les couleurs, empiler des cubes, coller des gommettes, regarder des livres sans les manger, associer un objet avec une image,
un insecte avec son dessin sur une page de livre...faire du tri,
regarder beaucoup de livres pour retrouver un objet du décor.... J'avais plastifié des photos de toute la famille, de son environnement (lit, jouets préférés, animaux) et je les lui montrais en nommant toutes ces images. J'ai aussi passé beaucoup de temps à lui apprendre à marcher sur une mini-poutre à 5 cm du sol (je lui tenais la main), faire du cheval à bascule, faire du porteur....
Ce qui m'a choqué, c'est quand j'ai vu que son cousin âgé d'un an de moins savait faire beaucoup plus de choses que lui. J'avais de quoi comparer : un cousin d'un an de plus et l'autre d'un an de moins. Puis un autre cousin est arrivé, et lui aussi, avec ses 18mois de moins qu'Augustin, il l'avait dépassé.
Alors je me rassurais en disant qu'il grandirait bien assez vite. Mais parallèlement, j'intensifiais les stimulations.
Comme en plus il refusait d'être couché pour une sieste en journée, et que son sommeil la nuit était très perturbé (il souffrait souvent de terreurs nocturnes), j'étais épuisée. Lorsqu'il lui arrivait de s'endormir d'un coup, sans signe annonciateur, j'en profitais pour dormir moi aussi, à côté de lui, souvent le bras appuyé sur la table pour me servir d'oreiller. Ainsi par tranches de 10 minutes, je récupérais un peu d'énergie pour finir la journée. Car bien sûr, il y avait aussi les trois grandes soeurs et il fallait être présente pour tous.
Augustin était un petit bonhomme qui se tenait tout mou dans mes bras, et très raide dans les bras des autres, se rejetant en arrière. Il faisait aussi de grosses colères,
se jetant au sol lorsqu'il était debout
ou se jetant en arrière lorsqu'il était dans sa chaise haute. Il hurlait très fort dès qu'on l'emmenait dans un magasin, se jetant là encore en arrière dès qu'il était dans un caddie.
A trois ans, il ne parlait toujours pas français, mais produisait quelques sons, du babillage de tout-petit.
Ses soeurs ayant remarqué qu'il était intéressé par le clavier de l'ordinateur, elles m'ont proposé de lui apprendre les lettres de l'alphabet. Elles avaient déjà commencé et il reconnaissait le o et le a. Ensemble, nous lui avons donc appris toutes les lettres de l'alphabet.
Augustin a vraiment eu de la chance d'avoir des grandes soeurs. Elles jouaient aux jeux vidéos et à l'ordinateur,
et cela l'a attiré avant ses 18 mois.
Il a appris beaucoup grâce aux jeux éducatifs sur PC. Les filles l'ont aussi beaucoup stimulé.
Je lui ai appris à lire. Il m'a fallu deux ans pour y arriver, mais l'intérêt pour les mots s'est ainsi développé. A six ans, il arrivait enfin à déchiffrer les premiers mots simples (phonétiques). De nombreuses étapes ont été nécessaire à cet apprentissage de la lecture, apprentissage ayant permis le développement du langage.
Mon but aujourd'hui était simplement de montrer qu'Augustin revient de loin, de très loin lui aussi.
Lorsque nous avons connu notre psychologue préférée, il avait 6 ans. Il était lecteur-déchiffreur (il manquait encore la compréhension du texte), adorait les vidéos de C'est par Sorcier, était passionné par les volcans, avait déjà un PPS à l'école et une avs.
Mais il n'était propre qu'à l'école, ne savait pas jouer avec les autres enfants, ni taper dans un ballon ou le rattraper, tombait encore souvent sans mettre les mains en avant, ne savait pas sauter, ne savait pas s'habiller, mais arrivait à remonter son pantalon à élastique, n'arrivait pas à colorier, ne travaillait qu'en présence de l'adulte, n'utilisait pas les pronoms (il parlait de lui en disant Augustin), faisait des phrases très incomplètes, avait encore de l'écholalie, buvait encore le biberon chaque matin (avec un rituel bien spécifique que nous n'avons jamais compris, tapotant le biberon avec ses deux mains avant de le soulever en faisant comme un grand M majuscule avant de le boire), mangeait très mal, faisant énormément de fausses routes....
Il avait pourtant suivi une première année d'orthophonie. Nous avions bien progressé avec l'école, nos relations s'étaient nettement améliorées et nous travaillions en partenariat avec les institutrices. Le diagnostic était posé, j'avais trouvé de nombreux renseignements sur l'autisme grâce à internet. L'emploi du temps, les premiers pictos faisaient déjà partis de notre vie. Il nous restait encore beaucoup de choses à apprendre, de formations à faire afin de l'aider encore à progresser.
Comme j'avais l'habitude de le stimuler, et que je trouvais qu'il ne progressait plus, qu'il y avait tant de choses à faire et que je ne savais plus comment m'organiser, j'ai trouvé que notre psychologue préférée était vraiment un guide, quelqu'un qui enfin allait m'aider. Je le lui ai dit comme ça :"Avant je me noyais, avec internet j'ai trouvé une bouée de sauvetage, maintenant je suis soulagée, j'ai trouvé un maître-nageur".
Elle aurait pu en profiter, me taxer de plein d'heures de supervision, me proposer qu'une étudiante vienne à la maison pour stimuler Augustin. Elle ne l'a pas fait, elle est restée honnête et m'a conseillée de me former, m'a proposé de venir de temps en temps pour faire le point sur la situation, m'a donné des priorités et des astuces pour les atteindre.
Du coup, 8 ans après, Augustin a encore sa "prise en charge" sans que nous ayons été obligé de vendre la maison. Les progrès sont là, bien là et il en reste encore à faire.
Nous rencontrons la psychologue une fois par trimestre parce que je le demande, que j'apprécie ce moment d'échange d'idées, qu'elle a de bonnes astuces et Augustin va en groupe d'habiletés sociales une fois par mois.
Tout cela pour dire qu'un niveau de départ très bas, ne signifie rien par rapport aux possibilités de progression. Certains vont progresser plus vite que d'autres malgré un point de départ quasiment identique. Et rien ne s'obtient sans énormément de stimulations, si possible très précoces.
C'est à mon avis pour cela que deux enfants autistes élevés avec la même méthode, dans la même famille, ne vont pas progresser de la même façon. Chacun d'eux progresse selon ses capacités neurologiques et génétiques, donc selon sa forme d'autisme.
Les personnes qui connaissent Augustin depuis peu, ne se doutent pas du niveau qu'il pouvait avoir il y a quelques années.